Questions à Laurence Foschia et Eleonora Santin

auteur

Laurence Foschia, Eleonora Santin

date de sortie

06/01/2010

discipline

Histoire moderne

Vous avez organisé au Collegium de Lyon un colloque sur « L’Épigramme dans tous ses états : épigraphiques, littéraires, historiques ». Eleonora Santin, vous travaillez sur l’épigramme dans sa dimension littéraire et poétique, alors que vous, Laurence Foschia, vous occupez de religion grecque à l’époque paléochrétienne. Comment vous est venu l’idée d’organiser un colloque ensemble ?

 

Eleonora Santin : Le choix d’un tel sujet pour le colloque que nous avons organisé les 3 et 4 juin au Collegium de Lyon s’est naturellement imposé à nous. Je travaille sur les épigrammes gravées sur la pierre et les différents aspects de la poésie épigraphique grecque, tandis que Laurence a souvent été confrontée à l’analyse des épigrammes en tant que sources pour dresser un portrait de la religion grecque traditionnelle à l’époque paléochrétienne. Peu de temps après notre arrivée au Collegium de Lyon, Laurence m’a proposé d’organiser un colloque sur l’épigramme. Après nous être souvent rencontrées et concertées, nous avons opté pour un colloque très ouvert, qui puisse regrouper un panel d’interventions large. Cela nous a permis d’étudier toute la richesse et la diversité de l’épigramme en l’envisageant dans ses dimensions synchronique et diachronique, dans le monde hellénisé et romain.

 

Laurence Foschia : En tant qu’objet épistémologique riche de sens, l’épigramme est toute désignée pour faire l’objet d’un colloque interdisciplinaire et transversal bien que limité aux sciences de l’Antiquité. Cette caractéristique lui vient de sa position tout à fait exceptionnelle : l’épigramme se situe au croisement de la littérature (pour sa nature poétique de texte en vers), de l’épigraphie (parce qu’une épigramme constituait à l’origine un texte gravé sur pierre) et de l’histoire (pour son importance et sa richesse informative en tant que source pour la reconstruction historique). Ce qui confère au colloque que nous avons organisé son aspect particulier et unique est qu’il réunit des spécialistes de disciplines différentes qui, tous, travaillent aux frontières de leurs territoires respectifs sur un sujet à la nature complexe.

 

Pour orienter les participants et rendre la discussion plus fructueuse, nous avions suggéré deux axes de réflexion : un premier sur « les figures professionnelles, civiles et religieuses dans la poésie épigraphique », dans lequel nous demandions aux intervenants de traiter de l’épigramme dans sa fonction sociale de texte public, conçu pour honorer, louer et commémorer des individus occupant une position bien définie dans le corps civique. Il s’agissait de traiter de l’épigramme comme d’un « résumé » d’une vie exposée publiquement. La seconde piste de réflexion, « Poètes et auteurs : epigrammata de pœtis et auteurs d’épigrammes », devait rendre compte de la nécessité d’illustrer la figure et la fonction du poète telles qu’elles apparaissent dans la poésie épigrammatique aussi bien littéraire que lapidaire. Nous voulions amener la discussion sur le poète en tant que destinataire de la composition ou en tant qu’auteur.

 

D’emblée, nous avions également désiré avec Eleonora élargir l’audience de ce colloque en l’introduisant par une conférence de Pierre Laurens – éminente personnalité dans le domaine des épigrammes – ayant pour titre : « Les Métamorphoses de l’épigramme : essai de poétique dans l’histoire ». M. Laurens a su captiver le public en rendant accessible un sujet qu’on pourrait penser difficile à aborder et éloigné de nos préoccupations actuelles.

 

En quoi vos travaux respectifs se complètent-ils l’un l’autre ? Pensez-vous, en travaillant différemment sur un objet commun, élaborer une méthode de recherche innovante / inédite ?

 

E.S. : Le champ disciplinaire nécessaire pour cerner l’épigramme est dense, et tout chercheur, qu’il soit anthropologue, historien ou linguiste, travaillant sur les épigrammes apporte une contribution essentielle à leur compréhension. La complémentarité que nous avons trouvée entre nos travaux est d’abord d’ordre chronologique : la période sur laquelle s’étale mon enquête va de l’époque archaïque (viie siècle av. J.-C.) à l’époque impériale (iv-ve siècle après J.-C.). Cependant, cette enquête n’est pas exhaustive puisqu’elle ne prend pas en compte les épigrammes chrétiennes. Le travail de Laurence Foschia s’élabore sur les sources chrétiennes et sur le passage du paganisme au christianisme dans la Grèce de l’Antiquité tardive. La seconde complémentarité est disciplinaire : alors que je travaille sur les aspects littéraires et poétiques du texte épigraphique, Laurence aborde aussi bien les aspects archéologiques des épigrammes que le rapport entre le texte et son support. Évidemment notre but commun, pour ce colloque, était d’élaborer un discours historique qui soit le plus complet possible.

L.F. : L’organisation de ce colloque nous a donc conduites à concevoir une méthode de travail innovante : il nous fallait envisager tous les genres épigrammatiques possibles, à toute époque et sur tout support, en langue grecque aussi bien qu’en langue latine en se gardant bien de « lisser » le tout pour l’uniformiser. Car l’interdisciplinarité qui caractérise cette manifestation ne devait en aucun cas mener à un joyeux œcuménisme destiné à gommer toute problématique. Les différents intervenants ont eu à cœur de montrer comment l’épigramme, tout en se trouvant au confluent de plusieurs disciplines, peut prendre des formes et revêtir des fonctions bien particulières. Les frontières existant entre les divers types d’épigrammes sont plus ou moins poreuses, plus ou moins difficiles à franchir. Un autre titre pour ce colloque aurait pu être « L’épigramme et ses frontières ».

 

Peut-on dire que le Collegium de Lyon a ouvert de nouvelles perspectives de recherche pour chacune de vous deux ?

 

E.S. : Il est évident que le Collegium nous a offert des conditions de travail idéales pour réaliser des projets qui flottaient dans les papiers et dans la tête… Nous avons disposé de huit mois pour concrétiser certaines de nos idées. La variété de la communauté scientifique de l’IEA et le fait de travailler en collaboration ont été d’excellents stimulants ; nous avons évolué dans un contexte où les idées nouvelles ont pris forme assez naturellement, sans contrainte ni restriction. Le fait de donner aux chercheurs une grande liberté de créer et d’agir en mettant à leur disposition les moyens nécessaires constitue la véritable force du Collegium. Idéalement, nous devrions pouvoir bénéficier des mêmes conditions de travail dans nos propres institutions de recherche.

 

L.F. : Notre collaboration a été clairement favorisée par notre rencontre au Collegium de Lyon. Nous aurions pu nous croiser en d’autres occasions ; cependant, l’un des points forts du Collegium et l’une de ses originalités, c’est qu’il nous a permis d’emblée de nous connaître, d’échanger nos points de vue et de rendre fertile et créative cette rencontre puisqu’elle a abouti très vite à la mise en place de ce colloque. Le Collegium a une indéniable vocation de catalyseur et d’accélérateur. Les chercheurs qui s’y rencontrent ne font pas que se frotter à d’autres domaines de recherche : ils peuvent concrétiser leurs échanges en produisant un nouvel objet (colloque, recueil d’essais, séminaire international, etc.). Au Collegium, les échanges de méthode et de savoir ne restent pas lettre morte. Eleonora et moi comptons bien, d’ailleurs, donner un deuxième volet à notre aventure épigrammatique.

Laurence Foschia et Eleonora Santin sont fellows au Collegium de Lyon, spécialistes d’histoire ancienne. Elles poursuivent leur recherche sur, respectivement, Les Transformations religieuses en Grèce continentale sous l’Empire romain iiie – vie siècles et Culture littéraire en Thessalie d’après les sources épigraphiques.

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